Face au phénomène d’accélération caractéristique des sociétés contemporaines et aux problèmes individuels et collectifs qui en découlent, le ralentissement semble constituer, spontanément, une réponse adéquate. Nous proposons de prendre cette réponse à bras le corps, en interrogeant les présupposés qui la sous-tendent et en émettant l’hypothèse que nos réflexes théoriques et politiques reproduisent parfois à notre insu ce qu’ils entendent critiquer. L’invitation au ralentissement ne pose-t-elle pas également certaines questions ? Prenant au mot la remarque de Harmut Rosa selon laquelle « le temps ne peut en aucun sens véritablement accélérer » nous pourrions demander ce que nomment, en filigrane, nos déclarations sur l’accélération et sur le ralentissement ? Plusieurs théoriciens - à commencer par Rosa lui-même - prennent ainsi soin de souligner l’articulation des phénomènes d’accélération avec des expériences de stase, « d’inertie » (Rosa, 2014, p. 55), de perte de repères. Si certains phénomènes d’accélération sont indéniables, la prise en compte de ces tensions entre accélération et ralentissement, accélération et stagnation, nous semble nécessaire pour mieux appréhender la dualité, voire l’écartèlement dans lesquels le sujet est aujourd’hui saisi (Le Roux Dupeyron, 2023). Le problème ne procède-t-il pas de la dialectique entre le contrôle exercé par la société sur nos rythmes de vie et la propension du sujet à s’y soumettre ou à tenter d’y échapper, dans une existence dont le temps est par essence limité.
Le sujet est en effet soumis à une multitude de temporalités en apparence irréconciliables. Certaines constituent des invariants anthropologiques qui le renvoient au réel biologique : digestion, gestation, temps de sommeil ou de guérison d'un rhume, temps de reconstitution de la biodiversité. D'autres sont de purs produits de la post-modernité : changements toujours plus rapides dans l'organisation du travail, exigence de résultats toujours plus rapides dans une variété de secteurs, de la sécurité alimentaire à l'éducation. Le sujet est ainsi pris dans un faisceau de relations complexes, certains symptômes révélant, en creux, la prégnance de son ambivalence (Reynal, 2021). Ainsi, la difficulté à choisir (un cursus, un partenaire, ou simplement une coque pour smartphone) face à l'addition des propositions qui lui sont faites par le marché, témoigne de l'actualité de son fantasme (« et si je manquais quelque chose de potentiellement merveilleux ? ») et de sa fragilité narcissique (« il me faut du merveilleux »). Mais elle dit aussi l'angoisse de ne pas pouvoir revenir sur certains choix a posteriori dans un cadre sociétal insécurisant, où le sujet est in fine réputé prendre toutes ses décisions rationnellement, et en endosser l’intégrale responsabilité (Dejours, 2014).